Le Dircom de demain à l’ère de l’intelligence artificielle : Dircom augmenté ? par Patrick Chambeau

Le métier de Directeur / Directrice de la Communication est en pleine mutation et ce depuis plusieurs années avec la transformation digitale qui est maintenant en phase de maturité pour la plupart d’entre nous, professionnels de la communication. Mais avec l’arrivée massive de l’intelligence artificielle (IA) et des nouvelles technologies numériques, nous entrons dans une nouvelle ère. Nous évoluons à présent dans un monde où la rapidité et la pertinence de l’information sont cruciales et l’IA devient un atout puissant pour nous autres, communicants. « Aller vite, viser juste, générer de l’impact ». Ma vision de cette nouvelle ère est optimiste et positive, car je suis convaincu que l’humain reste au cœur du dispositif. L’intelligence Artificielle est tout sauf intelligente et « Sans maîtrise, la puissance n’est rien » pour rappeler le fameux slogan. Néanmoins, cette accélération de l’IA, ce phénomène révolutionnaire, soulève des questions stratégiques pour nos entreprises, tant sur le plan de l’efficacité que de l’éthique. Cet article explore les grandes tendances de l’IA, les transformations du métier de Dircom et les questions clés que cette transformation numérique soulève.
5 grandes tendances de l’IA pour les 10 années à venir
L’intelligence artificielle progresse à une vitesse fulgurante et son impact sur la communication est déjà palpable. Quelques faits et chiffres :
- Le marché mondial de l’IA devrait atteindre 190 milliards de dollars d’ici 2025 (source : Markets and Markets)
- Environ 80 % des professionnels du marketing utilisent déjà l’IA ou prévoient de le faire d’ici 2025 (source : Salesforce)
- D’ici 2030, les investissements mondiaux en IA générative pourraient atteindre 110,9 milliards de dollars (source : McKinsey)
- Environ 30 % des tâches liées à la communication et au marketing pourraient être automatisées grâce à l’IA (source : PwC)
- Le marché mondial de l’analyse des émotions, une branche de l’IA, devrait atteindre 36 milliards de dollars d’ici 2026 (source : Grand View Research)
Dans les dix prochaines années, plusieurs tendances vont transformer notre secteur. Ces chiffres montrent l’impact massif de l’IA dans la transformation des métiers de la communication et la nécessité pour les Dircoms de maîtriser ces technologies pour rester compétitifs. Ce point de vue, pouvant bien entendu évoluer et reste une vision très personnelle et challengeable par d’autres experts, sous des angles différents.
1 – L’automatisation avancée et IA conversationnelle
L’IA conversationnelle, à travers des chatbots ou des agents virtuels, est déjà présente dans la relation client (I.e. Salesforce). À l’avenir, beaucoup pensent que cette technologie sera encore plus sophistiquée et intégrée dans les communications d’entreprise, permettant de répondre instantanément aux questions des clients, d’adapter le ton en fonction du profil de l’utilisateur, et même de résoudre des situations de crise en ligne. Les progrès du Natural Language Processing (compréhension du langage naturel grâce au Machine Learning) permettront une conversation de plus en plus fluide et humaine, où l’IA pourrait mieux comprendre les nuances et émotions du langage.
2 – L’analyse prédictive et data storytelling
L’IA pourrait permettre aux Dircoms de prédire les tendances et d’anticiper les crises. Grâce à l’analyse prédictive, il serait possible de prévoir l’impact d’une campagne en temps réel ou de repérer des sujets émergents avant qu’ils ne deviennent viraux. Par ailleurs, l’IA facilitera certainement le data storytelling, c’est-à-dire l’utilisation de données pour raconter des histoires visuelles et engageantes, basées sur des insights réels et précis.
3 – La personnalisation à grande échelle
La personnalisation des messages deviendra certainement de plus en plus sophistiquée, grâce aux capacités d’analyse des préférences et comportements individuels. Dans les prochaines années, l’IA permettra probablement aux Dircoms de cibler des audiences ultra-spécifiques avec des messages personnalisés, adaptant non seulement le contenu, mais aussi le format et le moment de diffusion pour maximiser l’impact. Un gain de précision, puissance et délivrabilité pour nos campagnes.
4 – La création de contenu généré par l’IA
Les progrès en génération de contenu (texte, image, vidéo) assistée par l’IA sont flagrants et édifiants. Certains pensent que les modèles de génération de langage naturel pourraient transformer la production de contenu. Dans le futur, les Dircoms et leurs équipes ou agences, pourront automatiser la création de rapports, de présentations, et même de visuels, réduisant ainsi les délais et coûts de production tout en améliorant la réactivité.
5 – La gestion et analyse en temps réel des émotions
On parle également d’IA capables de capter et d’analyser les émotions des audiences, par exemple à travers des analyses faciales ou de la voix, qui seront de plus en plus courantes. Les Dircoms pourront ainsi mieux comprendre l’impact émotionnel de leurs communications et ajuster leur stratégie pour maximiser l’engagement et minimiser les risques d’incompréhension ou de rejet, non-adoption. Pourquoi pas également penser à des adaptations en fonction des marchés locaux (Asie, US, Europe…)
Communicant : un métier encore plus stratégique ?
Ces tendances de l’IA auront un impact considérable sur le métier de Directeur / Directrice de la Communication, qui devra, avec ses équipes s’adapter pour intégrer de nouveaux outils et acquérir des compétences techniques.
1 - Un rôle de stratège renforcé par les données
Avec la montée en puissance de l’IA, le Dircom devra devenir un expert de la donnée. Il devra savoir interpréter et exploiter les insights fournis par les outils d’analyse avancée, pour ajuster les stratégies de communication en fonction des tendances et comportements observés. Cette analyse en temps réel des données aidera le Dircom à anticiper les attentes des parties prenantes et à gérer la réputation de l’entreprise de manière proactive.
2 - De nouvelles compétences techniques
Le Dircom de demain devra posséder des compétences techniques en IA et en data science. Comprendre les algorithmes, les méthodes de Machine Learning et la programmation de base sera nécessaire pour collaborer efficacement avec les équipes techniques et maximiser les capacités de l’IA. De plus, la maîtrise des outils d’analyse de données, de génération de contenu ou d’automatisation des tâches deviendra essentielle pour optimiser la communication.
3 - Un rôle plus transversal et collaboratif
L’intégration de l’IA dans la communication amènera le Dircom à collaborer davantage avec d’autres départements, notamment les équipes IT, marketing et data. Ce travail transversal permettra de créer des stratégies de communication plus alignées avec les objectifs globaux de l’entreprise, en s’appuyant sur des insights partagés entre les départements. Le Dircom ne sera plus seulement un gestionnaire de la communication, mais un leader capable de coordonner diverses expertises pour construire une image de marque cohérente et innovante. Donner du sens à tous ces métiers parfois en silos, peu intégrés, peut vraiment être la valeur ajoutée profonde du Dircom. Vers une revalorisation du métier vis-à-vis du business et du marketing ?
4 – Devenir un gestionnaire de la réputation numérique
Avec l’IA, la gestion de la réputation en ligne devient à la fois plus complexe et plus puissante. Les Dircoms peuvent déjà suivre presque qu’en temps réel les opinions et émotions du public, mais devront à l’avenir aussi veiller à des aspects éthiques et juridiques. La maîtrise de la réputation numérique nécessitera une vigilance accrue vis-à-vis de la collecte et l’utilisation des données personnelles, des biais potentiels dans les algorithmes, et des risques de désinformation amplifiés par les IA. Nous avons ici, à mon sens un rôle clé à jouer.
5 - Une approche créative augmentée
Grâce à l’IA, les Dircoms pourront être encore plus créatifs dans leurs campagnes. L’IA permet de tester différentes variations de messages, de formats, et d’images, pour voir ce qui fonctionne le mieux auprès des audiences. Les équipes de communication pourront ainsi se concentrer davantage sur la stratégie et l’innovation, en délégant une partie de la création opérationnelle aux algorithmes d’IA. Ce qui n’enlève rien au travail avec nos agences, qu’il faut à mon sens protéger et préserver.
Quelles questions cette transformation numérique amène ?
Comme nous l’avons vu, l’IA ouvre un champ immense de possibilités, mais aussi de nouvelles interrogations d’ordre stratégique, éthique et organisationnel.
Je le répète : « Sans maîtrise, la puissance n’est rien ».
1 - L’équilibre entre automatisation et humanité
La question centrale pour le Dircom de demain sera de trouver le juste équilibre entre automatisation et personnalisation humaine. Si l’IA permet de produire des contenus de façon rapide et à grande échelle, elle peut également réduire l’authenticité des échanges. Le Dircom devra s’assurer que l’automatisation ne déshumanise pas la relation avec son audience et ne diminue pas la valeur de l’interaction humaine, essence même du B to B. Pour aller au-delà, notre communauté de communicants devrait militer pour protéger « l’humain » dans toutes ses formes de communication (internes, externes…) et le remettre au centre du jeu. C’est là un enjeu sociétal crucial à mes yeux.
2 - La responsabilité éthique de l’IA
Les outils d’IA soulèvent d’importantes questions éthiques, notamment autour de la protection des données, de la transparence et des biais algorithmiques. Le Dircom devra veiller à ce que les pratiques de communication restent conformes aux valeurs de l’entreprise, en évitant les pratiques intrusives ou discriminatoires. De plus, l’utilisation de l’IA pour influencer le comportement des audiences devra être menée avec une grande transparence pour ne pas créer de méfiance ou de la défiance.
3 - La gestion des crises en temps réel
L’IA permet une gestion des crises beaucoup plus rapide, mais elle pose aussi des défis en termes de réactivité et de maîtrise de l’information. Avec une analyse en temps réel, les Dircoms doivent être capables de prendre des décisions stratégiques rapidement, sans avoir toujours le recul nécessaire pour anticiper toutes les conséquences. La question sera de savoir comment concilier la vitesse d’action rendue possible par l’IA avec la prudence requise pour protéger la réputation de l’entreprise.
4 - L’impact sur l’emploi et la redéfinition des compétences
Avec l’arrivée de l’IA, certaines tâches seront automatisées, ce qui peut poser la question de la réduction de certains postes au sein des équipes de communication. Le Dircom devra anticiper ces transformations et redéfinir les compétences essentielles de ses collaborateurs, favorisant des formations en IA, data, et technologie. Il s’agira également de penser au repositionnement de certains collaborateurs vers des tâches plus stratégiques ou créatives, que l’IA ne pourrait pas accomplir.
5 - La protection de l’image de marque et de la réputation
À l’ère numérique, la vitesse de diffusion des informations peut vite tourner en désinformation. L’utilisation de l’IA doit s’accompagner de méthodes de vérification rigoureuses pour éviter de partager des contenus inexacts ou biaisés. Les Dircom devront se doter d’outils permettant de détecter les fausses informations et d’identifier rapidement les attaques contre la réputation de l’entreprise.
En conclusion, le communicant de demain serait un Dircom “augmenté”, doté d’outils puissants pour analyser, anticiper et personnaliser les stratégies de communication. Cette transformation, sous l’impulsion de l’IA, ouvre des possibilités sans précédents mais implique également de nombreuses responsabilités. En intégrant l’intelligence artificielle, le Dircom devra développer de nouvelles compétences techniques, renforcer son rôle de stratège et veiller à l’éthique de ses pratiques. Une responsabilité plus importante et stratégique. Les opportunités sont immenses, mais elles s’accompagnent d’une vigilance accrue pour garantir une communication authentique, respectueuse et créatrice de valeur. Le défi des Dircoms de demain sera donc de savoir s’approprier ces technologies tout en préservant ce qui fait la force d’une communication réussie : la capacité à toucher et inspirer, générer de l’émotion et du désir. « Le désir est l’essence même de l’homme » – Selon Spinoza.